Aujourd’hui advinrent les premières fleures, l’heureux signe d’un cycle nouveau, du lent réveil de cette nature si grande. Nos mains calleuses reprirent leur habitude, et la journée fut à la culture de nos champs. Cette peau, pourtant si dure, n’est pas uniquement allouée au travail perpétuel de nos terres. Ces dernières ont également besoin de repos. Nos paumes sont un lieu de passage, où se rencontre le bois de l’outil et la caresse des prairies, la connivence d’une poignée de main et la douce force d’un nouveau-né. Ces mains savent tout faire, mais certaines préfèrent s’occuper des enfants, pendant que d’autres s’évertuent à chasser, ou à façonner nos outils. Nous vivons pour notre famille, alors nous nous engageons pour notre village, parce qu’il en est que son extension. Un nouveau cycle recommence, la vie reprend, et le village prospère.
Le soleil est devenu violent. Son éclat nous éblouis, sa chaleur assoiffe nos plantes et fatigue nos bêtes. Certains n’ont plus de force, alors nous les aidons dans leurs tâches, quitte à partager notre gain. Nos aïeuls se reposent ; l’ombre des arbres comme nouveau berceau. Chacun se démène à sa tâche, vivant au jour le jour pour parvenir à satisfaire ses besoins, à ceux de sa famille, et s’il en reste, à ceux du village. Le labeur ne dure que pour accomplir les tâches du jour, perpétuer vaillamment notre entreprise, celle de s’émanciper du besoin par la force de nos bras, celle d’affermir notre condition humaine par la teneur de nos liens.
Les feuilles se fatiguent, elles commencent à tomber. Nos récoltes sont prêtes, le village prépare ses réserves pour le temps où la terre se reposera. Nous avons décidés de rester, nos réserves pourront subvenir à nos besoins. Un de nos chasseurs a rencontré une tribu partant pour un lieu où le temps est plus clément ; ils suivaient les oiseaux, confiant pleinement en leurs guides célestes. Avec le froid, la maladie se répand. Les malades ne peuvent plus travailler, alors ceux qui possèdent en excès donnent sans compter. Certains, que la maladies rend insensés, désirent redonner ce qui leur a été offert. Ils oublient sûrement leurs contributions passées, la sueur de leurs efforts offerte à la communauté, nécessaire à sa survie. Nous produisons pour vivre, mais nous ne vivons pas sans les autres. L’entre-aide souligne notre lien jamais trop rappelé.
Avec l’empire de la nuit arrive le temps du repos. Paré de nos peaux, nous restons ensemble, attendant que le soleil reprenne le dessus sur cette obscurité glaçante. Certains partent encore chasser, mais nous vivons principalement de nos ressources emmagasinées. Nous échangeons également quelques biens avec les autres tribus. Celle-ci sont encore trop étrangères, à nos yeux, pour qu’on puisse prodiguer nos ressources tant vitales. Alors nous échangeons nos biens contre les leurs, selon les besoins de chacun.
Aujourd’hui advinrent les premières fleurs, signent que le cycle recommence heureusement. Notre village prospéra encore pour bien des cycles.
Un jour, des hommes armés arrivèrent. De leurs bouches masquées sortaient une langue inconnue. Ceux-ci tentèrent tant bien que mal de nous annoncer que notre village, nos terres, étaient conquises par un lointain roi. Certains protestèrent, mais ils furent emmenés. D’eux, nous retrouvions que leurs corps, empalés, pendu ou noyé. Alors on accepta cet état, malgré nous, par manque de puissance, de capacité de riposte. Après cela, les représentants de ce chef inconnu exigèrent que nous leurs payons un tribut, sous prétexte qu’on occupait leurs terres, nous qui sommes ici depuis la nuit des temps. On tenta de leurs donner nos bijoux, nos bêtes ou nos récoltes, mais ils refusèrent nos dons, arguant que seuls des bouts de métaux estampés étaient acceptés. Or, seuls les soldats échangeaient ces pièces métalliques contre nos biens. Ainsi nous dument commercer avec eux, sous peine de ne pas pouvoir payer cet impôt, de voir nos biens, nos femmes et nos filles emportés par la force. A cause de cette exigence, nos productions n’étaient plus suffisantes. Il fallait produire, produire toujours plus, pour s’assurer une certaine prospérité, trop instable pour qu’elle soit agréable. Avec le temps, chacun se spécialisa dans son propre secteur, œuvrant ainsi là où il était le plus efficace.
Au fil du temps, nous commençons à échanger ces pièces entre nous. Nos besoins n’étaient plus combler par nos forces, et la collectivité ne nous venaient en aide plus que par l’échange. Certains manquaient de pièces, alors des biens furent échangés contre des promesses de remboursement. Ces promesses furent marquées sur de l’argile, qui devinrent eux aussi échangeables ; les promesses se passaient de mains en mains. Je ne sais l’expliquer, mais plus le temps passait, moins nos voisins nous étaient proches. On acceptait de donner, mais contre une promesse de retour.
Un jour, les soldats partirent. Il eut apparemment une révolte à la capitale qui brisa l’empire. Ces pièces argentées, si vitales auparavant, ne valaient plus rien à nos yeux. Mais comment vivre si seuls quelques illuminés avaient encore fois dans la valeur de ces pièces ? Nous ne savions plus subvenir à tous nos besoins par nous-mêmes, enchaîné que nous étions à notre spécialisation. Dans cette situation, seule l’échange sans monnaie nous restait. Alors nous avions dû établir des équivalences, annexées sur le prix désuet des objets. Par exemple, une poule valait cinq pains, et ainsi les troquaient-on. Mais ces échanges étaient complexes, et beaucoup se crurent arnaqués. Petit à petit, on reprit notre rythme passé, où notre force parvenait à combler à nouveau à nos besoins. Le village, sans lien avec l’extérieur, consolidait les liens entre ces membres, et chacun reprit confiance en l’autre, l’aidait lorsqu’il en avait besoin, Parfois, nous retrouvons ces pièces jaunis, et nous rions de leur état, heureux que nos enfants ne connurent pas leur utilité.
Aujourd’hui advinrent les premières fleures, l’heureux signe d’un cycle nouveau, du lent réveil de cette nature si grande.